OK,
voilà le truc. Vous étiez parti avec les meilleures
intentions du monde. Vous alliez lire le livre de règles
et écrire le scénario, mais en chemin, vous en avez
été empêché d'une manière ou d'une
autre. Maintenant, il est huit heures du soir ce vendredi, et vos
joueurs sont en train de sonner à la porte. C'est l'heure
d'affronter la dure réalité : vous n'avez rien. Zéro.
Que dalle. Vous pourriez tout avouer, vous excuser pendant une
heure, et ainsi vous jeter vous-même en pâture à
vos amis rôlistes. Ou bien vous pourriez tenter quand même
de vous lancer, avec l'aide de notre guide en cinq étapes
pour maîtriser quand vous avez que dalle. Suivez bien
nos conseils, et ils ne s'en apercevront jamais...
Première étape
: prolonger la discussion avant la partie.
La plupart des groupes de
rôlistes tendent à passer un peu de temps avant le
début de la partie à discuter entre eux, en se racontant
leur vie ou en débattant sur les programmes de la télé
de la semaine, et ainsi de suite. Une manipulation habile de cette
discussion peut ronger de manière dramatique le temps effectif
qu'il restera pour la partie. Le truc, ici, est d'être
assez subtil pour que les autres ne se rendent pas compte que vous
participez. Vous ne devriez normalement pas prendre part à
la conversation, mais rester derrière votre écran
à "écrire des notes" et à "étudier
le scénario". Toutefois, si la conversation montrait
des signes de faiblesse - prélude à une fin naturelle
de la discussion -, vous devriez la relancer habilement et subtilement
en y introduisant un nouveau thème. Si, par exemple, vous
savez que l'un des joueurs est un fan absolu de la série
Buffy contre les vampires, vous pouvez demander innocemment, d'un
ton désinvolte, si quelqu'un a vu l'épisode de samedi
dernier. Avec un peu de chance, votre fan en parlera sans s'arrêter
pendant les quinze ou vingt prochaines minutes sans que vous ayez
besoin de prononcer un seul mot. Toutefois, au bout d'un moment,
les rôlistes les plus sérieux et les plus motivés
de votre groupe commenceront à en avoir marre de cette petite
"discussion", et vous allez être obligé de
commencer la partie en elle-même.
Deuxième étape
: laisser les joueurs faire du shopping.
La quasi-totalité des
rôlistes sont obsédés par l'équipement
possédé et transporté par leur personnage,
et saisiront n'importe quelle occasion d'en acheter encore plus.
La plupart du temps, vous, en tant que MJ, restreignez leurs achats
à quelques occasions, quand cela reste plausible dans le
scénario (en ville, entre deux scénarios, etc.). Néanmoins,
"assouplir" la règle que vous vous êtes fixée
peut vous faire désormais gagner du temps. Annoncez de
manière désinvolte, presque dès le début
de votre scénario improvisé, qu'ils viennent juste
de passer devant un magasin, un entrepôt ou un marchand de
provisions. Si (quand) ils annoncent vouloir entrer, et vous demandent
ce qu'ils peuvent y acheter, prenez un air surpris (comme s'il ne
vous était jamais venu à l'esprit qu'ils puissent
entrer là), et dites quelque chose comme "eh bien, à
peu près tout ce qui est disponible dans le livre de règles,
je suppose". Cela va immédiatement leur faire étudier
de près les listes d'équipement, convertir leurs pièces
d'or en d'invraisemblablement grandes quantités de pièces
de cuivre et se demander combien de torches, de cordes et de perches
de 3m l'aventurier moyen peut acheter avec son argent. (J'ai eu
une fois un personnage à D&D qui avait l'habitude de
partir à l'aventure en portant 10 perches de 3 m et environ
15 m de corde. Ne riez pas. J'étais jeune et je n'avais jamais
entendu parler de l'encombrement). Une fois qu'ils ont "acheté"
tous leurs objets, est venu le bon moment de réellement tenir
compte des règles d'encombrement pour la première
fois, en insistant sur le fait que les joueurs doivent calculer
au gramme près le poids de leur équipement, tout en
décrivant précisément l'endroit où chaque
chose se trouve, tout comme la manière dont le PJ le porte
(sur eux, dans un sac à dos, etc.). Cela va à nouveau
provoquer une perte de temps, afin qu'ils décident des objets
à abandonner pour abaisser le poids qu'ils transportent à
un niveau qui leur permette de continuer à marcher sans aucune
aide. Si vous voulez être un enfoiré fini avec
eux, laissez-les passer une demi-heure à choisir avec soin
leur lot d'objets à garder absolument, puis une autre demi-heure
à redistribuer ces objets entre leur sac à dos et
les paniers de leur cheval. Ensuite, vous pouvez (en tant que Dieu
de votre univers) lancer un ou deux éclairs pour effrayer
ces crétins de bourriquets, les faisant décamper au
loin (avec, bien entendu, les paniers mentionnés plus haut).
Cela ne va en aucun cas vous aider à couvrir l'absence de
scénario. C'est drôle, c'est tout.
Troisième étape
: le casse-tête énigmatique.
La prochaine étape
consiste en l'improvisation de ce qui va sembler être un casse-tête
énigmatique. C'est, bien évidemment, une simple impasse
déguisée. Par exemple : MJ : "Le tourbillon
mauve vous rattrape, et vous vous sentez transporté ailleurs,
avant de perdre conscience. Quand vous vous réveillez, vous
êtes dans une pièce carrée d'environ 6 m de
côté. Le sol, les murs et le plafond sont fait d'une
pierre grise unie. Il n'y a rien dans la pièce."
Joueur 1 : "D'accord, il y a peut-être un passage secret.
J'examine les murs." Joueur 2 : "Ce n'est peut-être
qu'une sorte d'illusion. Je lance un sort..." Il s'agit
bien évidemment d'une pièce absolument close et sans
issue, créée pour emprisonner de manière sûre
les personnages pendant que vous réfléchissez à
quelque chose d'autre. Tout ce que vous avez à faire est
d'écouter chacune des idées trouvées par les
personnages pour tenter de s'évader, puis de leur dire que
leur tentative échoue. Les joueurs vont bien sûr
penser qu'il s'agit là d'une sorte d'"énigme",
et qu'ils doivent simplement en trouver la "solution".
Si les joueurs commencent à s'ennuyer et à se plaindre,
faites-leur le "discours sur le défi qui conduit à
la Récompense". L'essentiel de ce discours consiste
à dire que si le MJ ne cesse d'aider les personnages à
accomplir leur tâche de manière à ce que tout
ce qu'ils fassent semble être ce qu'ils devaient faire et
que tout ce qu'ils tentent réussisse, alors le jeu perdra
rapidement tout intérêt. En conséquence de quoi,
pour des raisons d'éthique uniquement, il ne faut pas que
vous disiez aux joueurs comment sortir de la pièce. Ils devront
tout bonnement rester ici jusqu'à ce qu'ils trouvent la solution.
Un des joueurs finira bien par trouver une manière particulièrement
intelligente et astucieuse pour sortir de là. Quand il la
révélera aux autres, souriez et acquiescez, comme
si vous étiez heureux qu'ils trouvent la solution à
l'"énigme complexe que vous leur aviez préparée",
et déclarez que l'entreprise est couronnée de succès.
"Oui, Zarvod. Comme tu le pensais, vous avez été
transportés dans un univers à quatre dimensions, et
vous êtes actuellement emprisonnés dans un hypercube
à quatre dimensions, qui a une face ouverte sur la quatrième
dimension. Vous ne pouvez pas la voir, bien sûr, parce que
vous êtes tridimensionnels, mais comme tu l'as dit, la définition
du livre de règles de ton sort de Déplacement dit
qu'il peut te transporter dans toutes les dimensions. Tu lances
ton sort de Déplacement, marche un peu sur le côté,
et voilà que vous vous retrouvez à l'extérieur
du cube..."
Quatrième étape
: le combat à grande échelle.
Les systèmes de combat
lents et lourds à gérer ont été les
sauveurs de plus d'un MJ franchement mauvais. Le truc ici, c'est
de mener un combat qui soit lent, mais pas particulièrement
mortel en fait. "Fastidieux" est le mot-clef. La meilleure
façon de faire cela est d'avoir un très grand nombre
de faibles créatures, comme par exemple un groupe de rats.
Le combat peut être corsé avec des attaques spéciales
inhabituelles qui demandent beaucoup de comptabilité.
"OK, donc tous ceux qui sont en face des hamsters aux pouvoirs
psis doivent faire un jet de Volonté pour éviter d'être
charmés par eux, sinon vous aurez un malus de -1% sur vos
jets d'attaque. Bon, il y a 10 hamsters, donc vous devez faire 10
jets..."
Cinquième étape
: finir tôt.
Le truc, valable pour n'importe
quelle situation de la vie, est de s'en sortir avant que tout ne
tourne mal, et un MJ qui maîtrise un scénario de jeu
de rôle en ne l'ayant pas du tout préparé se
retrouve dans une situation qui tournera mal tôt ou tard.
Et plutôt tôt que tard. Finir la partie de bonne
heure est donc une option hautement utile. Il y a bien trop d'excuses
possibles pour qu'on puisse en faire ici une liste exhaustive. La
fatigue peut parfois vous attirer la compassion des joueurs, tout
spécialement si vous êtes celui chargé de ramener
tous les joueurs chez eux en voiture (c'est l'excuse que je sors
à chaque fois). Dire aussi que c'est un "moment idéal
pour couper le scénario" peut marcher, si vous le dites
avec assez de confiance dans la voix. Enfin, vous pouvez vous
arranger pour que quelqu'un, comme votre mère par exemple,
vous téléphone en prétextant qu'une urgence
requiert votre présence immédiate, et que vous devez
arrêter sur-le-champ la partie. Après tout, vous pouvez
difficilement refuser d'obéir à votre mère,
non ? Théoriquement, une petite amie peut jouer ce rôle,
mais là encore, si vous en aviez une, vous ne joueriez probablement
pas ce soir, n'est-ce pas ?
Cet article est copyright
© Critical Miss Gaming Society 1999. (http://www.criticalmiss.com). Il est issu du numéro
1 du E-Zine Critical Miss. Traduction et adaptation : Pierre Gavard-Colenny.
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